Une session spéciale de la Task Force à Pétion-Ville place les leaders religieux au cœur de la stratégie de désarmement et de réinsertion.
Pétion-Ville, jeudi 9 octobre 2025 – En ces temps de crise profonde, l’hôtel Caribe a accueilli une rencontre d’une portée symbolique et stratégique majeure : la 3ᵉ session spéciale du sous-groupe de la Task Force DDR-RVC. Autour de la table, un acteur souvent sous-estimé dans les analyses sécuritaires, mais essentiel dans le quotidien des Haïtiens : la communauté religieuse.
Placée sous le thème « Rôle des acteurs religieux dans la dynamique sécuritaire et le processus DDR », cette session visait à mobiliser l’influence morale et le réseau communautaire des Églises pour endiguer les violences et favoriser la réinsertion des jeunes à risque.
L’objectif, rappelé d’emblée par M. Yvener Neptune, coordonnateur a.i. de la Task Force DDR-RVC, était clair : « Promouvoir une meilleure compréhension stratégique du rôle des leaders religieux, encourager leur implication active et créer un espace de dialogue durable avec les institutions nationales. » Un message fort, alors que le pays cherche désespérément des leviers pour enrayer la spirale de l’insécurité.
M. Sancho Coutinho, directeur des affaires politiques du BINUH, a prononcé les mots de bienvenue, saluant « l’importance de ce partenariat inédit » entre le spirituel et le sécuritaire.
UNE MOBILISATION INTERCONFESSIONNELLE SANS PRÉCÉDENT
L’événement a réuni un large pan de la société civile haïtienne, notamment M. Joseph Domingue Orgella, coordonnateur du Conseil National de la Société Civile AYITIENNE (CNSCA), figure emblématique de l’engagement citoyen. Mais le véritable symbole d’unité est venu de la diversité des représentants religieux présents, reflétant tout le spectre de la foi haïtienne.

Le Révérend Père Marc Henry Siméon, porte-parole de la Conférence Épiscopale d’Haïti (CEH), a salué l’initiative et affirmé la disponibilité de l’Église catholique à coopérer. « Nos communautés disposent de moyens et sont capables de soutenir la démarche de réinsertion. Nous sommes prêts à redonner au peuple le goût de la vie », a-t-il déclaré, livrant un message d’espérance.
Du côté du Vodou, le Roi Augustin Saint-Cloud a lancé un plaidoyer vibrant pour l’unité nationale. « Si nous étions vraiment unis, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Il faut retrouver une harmonisation nationale », a-t-il affirmé, rappelant que la division affaiblit la nation tout entière.
Le Pasteur Calixte Fleuridor, de la Fédération Protestante d’Haïti, a pour sa part dénoncé la misère comme principal terreau de la violence. « Nous faisons face à des zones où règne la pauvreté, et des gens mal intentionnés les exploitent à leur guise. » Tout en soutenant la force internationale annoncée, qu’il perçoit comme « une force de dissuasion », il a plaidé pour une assise nationale de réconciliation et la mise en œuvre d’un vaste programme de réinsertion à haute intensité de main-d’œuvre.
Il a également annoncé que la Fédération organiserait des synodes dans les dix départements pour promouvoir la paix comme « un devoir civique et moral ».
UN MESSAGE POLITIQUE ET UN MEA CULPA INTERNATIONAL
La dimension politique n’était pas en reste. Ricardo Germain, représentant du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), a rappelé que « la paix ne se décrète pas, elle se construit. » S’adressant directement aux responsables religieux, il les a qualifiés de « semences du changement », les exhortant à désarmer les cœurs : « Un peuple debout vaut toujours mieux qu’une nation à genoux. »
La clôture a été marquée par un moment fort : le discours de Mme Aïmée Thérèse Faye Diouf, cheffe du DDR et RVC du BINUH, empreint de lucidité et d’humilité.
Elle a salué la résilience du peuple haïtien, tout en formulant un geste rare : au nom de la communauté internationale, elle a présenté des excuses au peuple haïtien pour les limites de l’aide internationale.
« Nous devons assumer ensemble notre responsabilité partagée pour bâtir un avenir pacifique », a-t-elle déclaré, suscitant une vive émotion dans l’assistance.
DE LA PAROLE AUX ACTES : ATELIERS ET ENGAGEMENTS CONCRETS
Au-delà des discours, la journée a été rythmée par des ateliers thématiques et la projection d’un documentaire sur la dimension spirituelle et sociale des gangs.
Les échanges ont exploré plusieurs axes : l’impact de la violence sur les religions, l’instrumentalisation de la foi, et les ressources spirituelles disponibles pour soutenir le désarmement et la réinsertion.
Cette session spéciale ne fut donc pas un colloque de plus, mais une étape décisive vers une approche intégrée du processus de paix.
Alors qu’Haïti cherche encore son chemin vers la stabilité, c’est peut-être dans l’union sacrée de ses forces spirituelles, communautaires et politiques qu’elle trouvera la force de se relever.
Fritz Gerald Hussein VALME



