À l’émission « AYITI À L’HORIZON 2054 », le coordonnateur du CNSCA et président du CEDEC a passé en revue trois décennies de présence internationale, d’instabilité politique et de déclin national, lançant un appel pressant à la refondation de l’État.
Port-au-Prince, Dimanche 5 octobre 2025 – Sur les ondes de la Radio Télévision FADHRIS, le coordonnateur du CNSCA Mr. Joseph Domingue Orgella a livré une intervention marquante, examinant sans complaisance les 31 années écoulées depuis le premier déploiement des forces des Nations unies en Haïti. Une interrogation centrale a guidé sa réflexion : « Quel résultat ? Et surtout, quel bilan ? »
Coordonnateur du Conseil National de la Société Civile AYITIENNE (CNSCA) et du Centre de Développement Communautaire (CEDEC), Mr. Orgella a d’abord retracé le contexte ayant conduit au déploiement onusienne en 1994. Selon lui, pas moins de 54 résolutions de l’ONU ont concerné Haïti, un chiffre qui témoigne de la profondeur de la crise.
UNE RÉTROSPECTIVE POLITIQUE TOURMENTÉE
Pour mieux comprendre l’enchaînement des événements, Joseph Domingue Orgella est revenu sur les racines de la crise contemporaine : la dictature des Duvalier (1957-1986). Il a ensuite évoqué le chaos post-Duvalier, marqué par une succession de présidents provisoires et d’élections avortées, comme celle de 1987, conclue dans un « bain de sang à la Ruelle Vaillant ».
Le récit a déroulé les épisodes successifs de l’instabilité : le mandat écourté de Leslie F. Manigat (1988), la présidence intérimaire d’Ertha Pascal-Trouillot, l’élection puis le premier exil de Jean-Bertrand Aristide, suivis des gouvernements de facto de Joseph Nérette et Marc Bazin. Mr. Orgella a souligné un tournant majeur : le débarquement, en 1994, de plus de 20 000 soldats américains venus préparer l’installation de la première mission de l’ONU.
« De 1994 à nos jours, la situation n’a cessé de se détériorer », a-t-il constaté, évoquant les cycles d’accalmie suivis de nouvelles crises. Le retour d’Aristide, les mandats de René G. Préval, le second renvoi d’Aristide en 2004, l’arrivée de la MINUSTAH, le séisme de 2010, l’élection contestée de Michel Martelly, l’intérim de Jocelerme Privert, puis la présidence tragique de Jovenel Moïse, marquée par les « peyi lòk » et son assassinat en 2021.
Le coordonnateur a rappelé une phrase prémonitoire de Jovenel Moïse : « Lorsque vous me chasserez du pouvoir, qu’allez-vous faire de mes sympathisants ? » Une question qui, selon lui, résonne douloureusement avec la crise des gangs qui ravage aujourd’hui le pays.
BILAN DE LA PRÉSENCE ONUSIENNE : l’ÉCHEC D’UNE MISSION
Le cœur de l’intervention de M. Orgella a porté sur l’évaluation de la présence internationale.
« Nous avons mal utilisé la présence des Nations unies. Nous les avions sollicitées pour nous venger les uns des autres, pas pour construire l’avenir », a-t-il regretté.
Il a dénoncé la dissolution de l’armée haïtienne, jadis « garant de la souveraineté nationale », estimant que la Police nationale, conçue comme une force urbaine, s’est retrouvée débordée et dépendante de la MINUSTAH, sans plan de défense cohérent.
« Trente et un ans plus tard, rien n’a changé : les violences se poursuivent partout », a-t-il déploré. Port-au-Prince est désormais « une capitale dysfonctionnelle », partiellement contrôlée par des bandes armées. L’État a perdu le contrôle d’institutions symboliques, et la cathédrale de Port-au-Prince reste en ruines, quinze ans après le séisme.
« Aujourd’hui, dès que deux ou trois coups de feu éclatent, on ferme l’aéroport. Pendant ce temps, en Ukraine, malgré la guerre, les aéroports restent ouverts », a-t-il ironisé.
L’ÉDUCATION, UN PILIER ANÉANTIE
Abordant la rentrée scolaire chaotique, Mr. Orgella a établi un lien direct entre l’effondrement de l’État et la dégradation de l’école.
« Nous avons détruit l’école, la famille, l’université — nous avons tout simplement détruit le pays », a-t-il fustigé.
Il a dénoncé l’utilisation d’enfants dans des manifestations et la destruction d’infrastructures scolaires, symboles selon lui de l’échec collectif.
« Le plus grand instrument de formation, c’est l’école », a-t-il rappelé, appelant à un sursaut national. Pour le CNSCA et le CEDEC, la priorité doit être la formation d’une génération de citoyens responsables, avec des enseignants et des policiers mieux rémunérés et respectés.
UN APPEL À L’ACTION ET À LA MÉMOIRE DES HÉROS
Face à ce bilan accablant, Joseph Domingue Orgella a lancé un appel solennel à la conscience nationale. Il a exhorté les citoyens à « recréer les conditions pour vivre ensemble », dans l’esprit des pères fondateurs.Il a conclu son intervention en évoquant les dates symboliques de l’histoire d’Haïti — le 18 novembre 1803, victoire décisive contre l’armée napoléonienne, et le 1er janvier 1804, proclamation de l’indépendance — comme des repères indispensables :« Il est temps de prouver qu’Haïti existe encore comme République.
« Nous avons besoin d’Haïtiens qui agissent, pas seulement qui parlent », a-t-il martelé, plaidant pour une lutte collective afin de redevenir une nation respectée, où « les enseignants haïtiens étaient autrefois recherchés à l’étranger ».
Le bilan dressé par M. Orgella est sans appel : instabilité chronique, souveraineté affaiblie, institutions fragilisées. Son intervention se veut plus qu’un constat : un vibrant plaidoyer pour une refondation nationale, fondée sur l’éducation, la responsabilité et la sécurité — les trois piliers, selon lui, d’un véritable redressement d’Haïti.
Fritz Gerald Hussein VALME



